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29 août 2018 3 29 /08 /août /2018 09:07

Je découvre Philip Roth par des chemins de traverse : après La Contrevie (1986), je viens de lire J'ai épousé un communiste (1998).

Cette fois la toile de fond est l'Amérique du maccarthysme qui cause la perte du héros du roman Ira Ringold (Jeune juif de Newark, sans diplôme, sans famille) alias Iron Rinn (star de la radio, époux d'une vedette de cinéma en haut de l'affiche). Dans cette ambiance de guerre froide des années 50, la chasse aux sorcières est ouverte, il ne fait pas bon être communiste, même en secret, ni même être ami ou frère de communiste, Ira le découvre à ses dépens. Il clame avec ardeur ses opinions sur la guerre froide ou sur la Corée comme il l'avait fait en Iran quand il était militaire pour la défense des Noirs qui lui tient aussi à coeur. Mais il ne serait pas tombé sans un autre mal sournois et noir qui ronge la société américaine et particulièrement ici son épouse: l'antisémitisme. C'est que l'Amérique est loin d'être un eldorado ! On découvre d'ailleurs qu'Ira est un meurtrier qui se cache depuis des années.

Cette histoire, c'est Murray, le frère ainé d'Ira qui à l'âge de 90 ans la raconte à son ancien élève Nathan Zukerman âgé désormais de 60 ans. On retrouve ainsi à travers ces deux personnages deux alias de l'auteur lui même à qui chacun emprunte beaucoup. Murray était professeur de littérature, Destitué quatre ans après son frère à la suite de la chasse aux communistes, il a cependant repris ses fonctions d'enseignants mais cette fois dans des classes de South Side où personne d'autre ne voulait enseigner les élèves, de jeunes Noirs pauvres de Newark. Cela a duré dix ans jusqu'à ce que l'un d'eux assassine son épouse pour lui voler son sac (qui pourtant ne contenait rien). On découvre ainsi une Amérique en pleine déliquescence. "Mais basta, chaque acte produit de la perte, dit-il. C'est l'entropie du système.

_ Quel système ?

_ Le système moral."

Enfin pour l'on puisse voir "l'inconcevable : l'absence d'antagonisme" il faut attendre que tous les hommes aient disparu. C'est une vision plutôt désespérante.

Ce que j'apprécie particulièrement dans ce roman, c'est la construction des personnages : Eve, Sylphid, Ira et beaucoup de persornages de second plan... On les découvre peu à peu et ils réservent des surprises jusqu'au bout. C'est qu'ils ont emprunté la complexité humaine ce qui est assez rare pour les personnages de romans. Leur vie n'a pas plus de sens que celle des personnes. Il faut la construire, la découvrir.

"Il se voulait passionnément un homme qu'il ne savait pas être. Il n'a jamais découvert sa vie, Nathan. Il l'a cherchée partout -à la mine de zinc, à l'usine de disques, à la fabrique de fondant, au syndicat, dans le radicalisme politique, dans les pièces qu'il jouait à la radio, dans les harangues pour soulever la foule, dans la vie prolétaire, dans la vie bourgeoise, dans le mariage, dans l'adultère, dans l'état sauvage, dans la société civilisée. Il n'a jamais pu la trouver. Ce n'est pas un communiste qu'Eve a épousé; elle a épousé un homme perpétuellement affamé de sa propre vie. Ce qui l'enrageait, qui l'embrouillait, c'est ce qui l'a perdu : il n'a jamais pu s'en construire une qui tienne. Tout l'effort de cet homme n'était qu'une maldonne colossale. dit Murray pour expliquer à Nathan la vie d'Ira. 

 

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8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 16:50

La Contrevie (The Counterlife, 1986) est le premier roman de Philip Roth que je lis mais quel

roman ! Suis-je tombée sur la pépite ou toute l’œuvre de cet auteur archi-reconnu est-il de cet acabit ? La Contrevie pourrait aussi bien être au pluriel car chacune des cinq parties revisite une précédente comme si la fiction était inépuisable. Je ne vais pas tout raconter pour préserver les surprises pour les futurs lecteurs mais voici le schéma d’ensemble :

 Dans la première partie, Bâle, Henry Zuckerman, dentiste de son état, époux de Carol, et amant de son assistante  Wendy voit son existence bouleversée lorsque vers la quarantaine, il se trouve contraint de prendre à vie un traitement pour insuffisance cardiaque or ce traitement le rend impuissant. Cette situation lui semble assez insupportable pour qu’il se confie à son frère aîné, Nathan un romancier avec qui il était en froid depuis longtemps. Contre l’avis des médecins, il se fait opérer et il meurt.

Dans la 2e partie intitulée La Judée, Henry a survécu à son opération mais il a laissé femme, enfants et maitresse pour partir en Israël. Carol se fait du souci pour lui et Nathan entreprend un voyage pour le voir. Quand il le trouve, celui-ci vit dans une colonie en Judée où il apprend le yiddish et porte un revolver au côté. … Cette partie est la plus longue et à mon avis la plus intéressante.

La 3e partie relate le retour de Nathan sans son frère mais non sans rebondissements.

Dans la 4e partie, c’est Nathan et non pas Henry qui souffre d’impuissance à la suite d’un traitement médical. Cette partie raconte sa liaison avec Maria puis son décès et ses funérailles auxquelles assiste son frère Henry qui lui en veut encore de la publication du chapitre Bâle :

"C'est Nathan qui se sert de mes traits pour masquer son visage tout en se déguisant lui-même, homme tout à coup responsable, sain d'esprit ; il devient son double raisonnable et m'attribue le rôle du parfait crétin. Il fait semblant d'abandonner tout déguisement au moment précis où il ment le plus, ce fils de pute. Voilà Nathan qui sait tout, et Henry avec sa petite vie [...] Voilà Nathan qui le perce à jour." (p 315)

Dans la 5e et dernière partie, Terre Chrétienne, Nathan est toujours en vie et rencontre sa belle-famille anglaise.

C’est un roman tout à fait singulier et tout à fait passionnant : un roman sur le désir, un roman sur la judaïté mais aussi un roman sur le roman, trois dimensions qui sont orchestrées de main de maître. Il me tarde de lire un autre roman de Philip Roth, en traduction car hélas la version originale m’est inaccessible.

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23 juillet 2018 1 23 /07 /juillet /2018 12:52

J’ai beaucoup lu Stéphan Zweig mais je n’avais jamais lu ce récit qui n’a été édité que très récemment. Enfin,

en 2008 ... ce qui fait déjà 10 ans. C’est justement presque le temps qui sépare les premiers émois amoureux et les retrouvailles de Louis au début du récit, sorte d’avatar du jeune Frédéric Moreau de L’Education sentimentale et de cette femme _avatar aussi de Mme Arnoux_ dont on ignore le prénom comme le nom. Durant ces 9 années de séparation la première guerre a commencé et fini. Au moment des retrouvailles une manifestation patriotique semble annoncer une nouvelle guerre. Le temps passé aurait-il effacé les mauvais souvenirs de la première guerre du moins assez pour que les hommes en préparent une nouvelle ? Ce temps passé a pourtant un effet contraire sur l’amour : Louis et son amour n’ont rien oublié mais rien n’est plus possible pour eux. Les vers du « Colloque sentimental » Verlaine autrefois récités par la femme reviennent à l’esprit de Louis et sonnent le glas de l’amour :
« Dans le vieux parc solitaire et glacé. »
On retrouve ainsi les thèmes favoris de Zweig dans ce récit mais la mélancolie est prégnante. L’amour ne revient pas, la guerre, si. Louis s’en effraie à leur arrivée à Francfort : «  Ils sortirent de la gare, mais à peine passée la porte, un grondement les assaillit scandé par des tambours, traversé de sifflements stridents, vacarme imposant, retentissant - une manifestation patriotique d’associations d’anciens combattants et d’étudiants. Mur mouvant orné de drapeaux, se succédant par rangées de quatre, des hommes à l’allure militaire marchaient au pas de parade, en cadence, comme un seul homme, la nuque raide, rejetée en arrière - résolution violente- la bouche grande ouverte, pour chanter, une voix, un pas, une cadence. Aux premiers rangs, des généraux, sommités chenues, couverts de décorations, flanqués d’une organisation de jeunesse, portaient à la verticale, avec une raideur athlétique, des drapeaux gigantesques, têtes de morts, croix gammées, vieilles bannières de l’Empire, flottant au vent, ils bombaient le torse, le front rejeté en avant, comme s’ils avançaient à la rencontre de batteries ennemies. [...] « Folie » balbutia-t-il à part lui, stupéfait, pris de vertige. Que veulent-ils ? Une fois de plus, une fois de plus ? » p 85-87
Dans cette édition le texte de Zweig écrit en allemand est présenté à la suite du texte traduit par Baptiste Touverey.

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18 juillet 2018 3 18 /07 /juillet /2018 18:09

Voilà un roman qui vous tient en haleine ! "Véritable western sibérien" (L'Obs) ou "puissant

récit d'aventures métaphysique" (L'Express ) il fait de vous les témoins d'une chasse à l'homme qui se révèle soudain chasse à la femme par cinq militaires soviétiques sommés de capturer vivant(e) l'ennemi public incarné par un (e) fuyard(e) plein(e) de malice et d'ingéniosité dans la taïga sibérienne.

Le commandant Boutov, le capitaine Louskass, Ratinsky, Mark Vassine, et son chien Almaz et Pavel Gartsev composent l'unité chargée de l'opération.

Deux seulement ont un prénom dans cette liste, ce sont deux hommes sans grade et sans ambition, du moins, pour ce qui concerne Pavel, sans autre ambition que s'en sortir, d'abord, en écoutant son "pantin de chiffon" intérieur qui le pousse à la couardise et au compromis. Vassine, lui, a déjà beaucoup appris de la vie et se montre plus philosophe. Ces deux personnages qui se distinguent donc déjà par leur prénom,  acquièrent au fil du récit une fonction bien plus intéressante que celle que l'armée leur avait attribuée : Pavel cesse en effet de se laisser gouverner par son "pantin de chiffon" pour enfin choisir de vivre et il se retire sur une ile quasi inatteignable, l'île Belitchi de l'archipel des Chantars avec celle qu'il avait longtemps poursuivie et qui, elle, a seulement un prénom, Elkar.

Vassine meurt pour permettre à Pavel de réussir son projet mais il meurt satisfait de savoir que Pavel a épargné la vie de la fugitive. Vassine a perdu femme et enfant alors même qu'ils étaient embarqués dans le cadre de l'évacuation des civils lors du siège de Leningrad par le lac Ladoga : un bombardement avait brisé la glace et le camion qui les transportait est tombé dans le lac. Depuis, Vassine ne vivait que pour revoir sa femme, en l'imaginant.

Vassine est un personnage que je trouve très proche de Camus. Ainsi, lorsque p 138 il raconte à Pavel ce qui le pousse à épargner la fugitive, il se révolte :

"Dans le camp, j’ai rencontré un prêtre, un prisonnier lui aussi. Il me parlait de Dieu qui nous aimait, de la lumière au plus profond de l’abîme… Il était dans son rôle. Je ne répliquais pas. À quoi bon ? Puisque, avant et après la mort de ces enfants, on n’a jamais arrêté de tuer, de brûler et… de baîller ! L’apparatchik qui m’a reçu était plus sincère que le prêtre, il ne vantait pas la lumière de Dieu… »
Il s’interrompit, opinant doucement à ses pensées. Puis tendant son bras vers la forêt, chuchota : « Regarde, Pavel ! C’est cela la lumière dans les ténèbres. Nos feux, allumés pour tromper cette femme. Oui, ruser, mentir, frapper, vaincre. La vie humaine. Un gamin s'étonnerait : pourquoi tout cela ? Dans cette belle taïga, sous ce ciel plein d’étoiles. L’adulte ne s’étonne pas, il trouve une explication : la guerre, les ennemis du peuple... Et quand ça devient vraiment invivable, il te parle de Dieu, de l’espérance ! Les enfants qui se noient sous la glace, qu’est-ce qu’ils ont à faire de cette lumière divine ?
»

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 14:04

Hippolyte est célèbre pour ses reportages BD pour la revue XXI. Il a travaillé avec Patrick de

Saint Exupéry sur cette bande dessinée "reportage au cœur du génocide" Rwandais sous titrée Rwanda 1994. Par de larges bandes colorées de vert et de bleu à la manière des aquarelles, les magnifiques paysages du Rwanda sont représentés et le texte se réduit alors à quelques cartouches : "Dans un monde immobile" "Sous un ciel bleu" "pur" "sans nuages" "rien ne bougeait" "sauf le feuillage des arbres" "agités par une brise légère" "du silence" "il n'y avait que du silence" "et des tués"... On entre alors dans l'indicible "il n'y avait plus de mots".

Antoine de Saint-Exupéry était reporter de guerre pour Le Figaro en 1994 au Rwanda, il était là lorsque l'opération Turquoise de l'armée française s'est mise en place, accueillie avec des cris de joie par les génocidaires qui voyaient là une intervention alliée. Les militaires français quant à eux découvraient avec stupéfaction la réalité et restaient réduits à l'impuissance faute de décision politique pertinente.  Deux mois plus tôt pourtant un dimanche au Home Saint-Jean 4300 hommes, femmes et enfants tutsis avaient été rassemblés dans l'église et sauvagement assassinés, comme une répétition d'Oradour mais à plus grande échelle. Le même jour, au stade non loin de là, 9000 tutsis ont été tués. A leur arrivée, les soldats français découvrent la réalité avec stupéfaction et impuissance.

Quand Antoine de Saint-Exupéry revient 20 ans plus tard avec Hippolyte, la paix est revenue mais le choc est toujours violent. Des planches de vignettes bleues viennent scander le récit comme des plongées dans la conscience et des personnages flottent au milieu de multiples corps disloqués. Dans les bulles, des paroles entendues forment comme un écho, des cartouches répètent "un génocide..." "... c'est d'abord du silence." "un silence étourdissant"

  

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 11:08

Ce roman paru en 2000 et adapté au cinéma dès 2001 par l'auteur lui-même a été couronné du prix Relay du Roman d'évasion.

Le cadre spatio-temporel du récit est la Chine de Mao entre 1971 et 1974 c'est à dire à l'époque de la Révolution culturelle qui a conduit à considérer tout intellectuel comme ennemi du peuple et en conséquence à exiler les enfants de ces ennemis dans les contrées les plus reculées et les moins alphabétisées du pays, ici dans les hautes montagnes où des paysans convertis à la cause se chargent de plier les jeunes gens aux volontés du pouvoir.

Le narrateur et son ami Luo, jeunes fils d'ennemis du peuples âgés de 17 et 18 ans sont ainsi condamnés à travailler dans les rizières et dans les mines, ils n'ont pas plus de 3 chances sur 1000 d'y échapper un jour.

Pourtant l'objectif de cet exil échappe en grande partie aux commanditaires : les jeunes garçons s'emparent de livres cachés par un autre exilé et découvrent avec gourmandise d'abord Ursule Mirouët puis Le Père Goriot  et Eugénie Grandet de Balzac et aussi Jean-Christophe de Romain Rolland et beaucoup d'autres romans occidentaux interdits.

"Le  Binoclard  hésita-t-il  longtemps  avant    de  choisir  de  nous   prêter    ce  livre?    Le  pur   hasard conduisit-il  sa  main?    Ou  bien   le prit-il    tout   simplement  parce    que,   dans   sa  valise    aux   précieux trésors,  c’était    le livre   le plus   mince,  dans   le pire   état?   La  mesquinerie  guida-t-elle  son  choix? Un  choix    dont   la raison    nous   resta   obscure,  et  qui   bouleversa  notre    vie,   ou  du  moins    la période de  notre    rééducation,  dans   la montagne  du  Phénix  du  Ciel.

Ce  petit   livre   s’appelait  Ursule  Mirouët.

Luo  le lut  dans   la nuit   même  où  le Binoclard  nous   le passa,  et  le termina  au  petit matin.  II  éteignit  alors   la lampe    à pétrole,  et  me  réveilla  pour   me  tendre  l’ouvrage.  Je  restai  au  lit  jusqu’à  la tombée  de  la nuit,   sans   manger,  ni  faire   rien   d’autre  que   de  rester    plongé  dans cette   histoire  française  d’amour  et  de  miracles."

Ils ne se contentent pas de découvrir les romans, ils partagent aussi leurs découvertes avec la fille du tailleur local. C'est par là surtout que les objectifs maoïstes sont déjoués : la petite tailleuse chinoise se cultive et s'émancipe. Un jour, elle s'en va, elle quitte les montagnes pour "une grande ville" et ainsi s'achève le roman.

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13 juin 2018 3 13 /06 /juin /2018 21:35

Magnus, c'est le nom d'un ourson à l'oreille "à moitié grignotée par une brûlure", à moins que

ce ne soit juste un nom brodé "en grosses lettres bariolées" sur le carré de coton enroulé à son cou et c'est aussi, mais seulement parfois, le nom d'un jeune homme "quelque part entre San Francisco, New-York, Montreal, Los Angeles et Vancouver et encore bien d'autres villes." Ce jeune homme d'ailleurs a plusieurs pseudonymes, Franz-Georg, Franz Keller, Adam, Magnus au gré des personnes qu'il croise, un médecin nazi et son épouse Thea Dunkeltal, le pasteur Lothare et sa famille, Hannelore, Else, Erika et leur amie Peggy Bell, puis May et son époux Térence et son ami Scott jusqu'à l'ermite frère Jean qui, fait irruption dans sa vie au fragment 27, tout comme frère Jean des Entommeures apparaissait au chapitre 27 de Gargantua ! Coïncidence ? 

Il faut dire que ce roman est loin d'être "un long fleuve tranquille" ! D'une part, il est découpé en "fragments" qui ne se présentent pas dans l'ordre attendu et qui sont séparés par des notules qui semblent chargées de donner des éléments documentaires et des séquences de textes issus d'autres oeuvres. La chronologie est perturbée mais aussi la logique de la fable.

Or, on le comprend vite, si tout est bousculé, c'est que l'Histoire  comme celle du héros est en lambeaux. Magnus a perdu la mémoire quand Hambourg a été bombardée aux bombes explosives et incendiaires "au coeur de l'été 43" Il a ensuite perdu sa famille d'adoption quand la légende héroïque s'est effondrée. L''Allemagne vaincue, les nazies ont fui et le héros a découvert  l'horreur qui se cachait derrière leur brillante existence.

Plus surprenante est l'intervention de l'ermite frère Jean, un homme que l'on prend d'abord pour une femme, qui prie devant un espace béant où la statue n'est plus, qui vit avec les abeilles et permet au héros de finir sa quête en écoutant tomber les feuilles mortes (On songe ici à Orphée que Virgile évoque dans le livre IV des Georgiques où il évoque aussi très longuement... les abeilles!). Même s'il ne connait toujours pas son identité, le héros peut alors s'en aller.

"Pour tout livre, il emmène celui qui s'est ouvert en lui dans un souffle de hautbois, et qui n'en finit plus de bruire dans son esprit, dans sa poitrine, dans sa bouche. Les pages du livre frémissent dans ses mains, s'effeuillent sous ses pieds.

.S'en aller, chante tout bas le livre des merveilles et de l'insoupçonné, s'en aller...

S'en aller." ( p.264)

 

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26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 18:41

Ce roman vient de sortir en poche folio mais il a remporté en 2016 à sa

sortie chez Alma Éditeur le prix Renaudot des lycéens. C’est un premier roman déjà bien établi en somme.

Dans la lignée de femmes héroïnes de ce roman, Marie, sa fille Magdalena, sa fille Libuse, sa fille Eva qui se ressemblent et s’engendrent comme des poupées gigognes, sans papa ou presque. Bien sûr, il y a bien eu des géniteurs mais sur la ligne ad hoc des filles, pas de nom du père. Celui d’Eva est peut-être un beau blond russe, mais il a disparu, chassé par le beau-père de Libuse, le jour même où il a apporté sa petite graine, celui de Libuse est le fils d’un propriétaire qui a dû s’exiler lorsque sa propriété a été confisquée au profit des coopératives, celui de Magdalena est un médecin juif qui s’est enfui avec sa famille quand la menace est devenue trop oppressante à Vienne. Les pères sont donc absents et les beaux-pères, alcoolique et violent pour l’un, absent pour l’autre, ne font pas office de pères.

Ces femmes par conséquent s’assument seules : Marie est tour à tour et parfois simultanément sage-femme, brodeuse, cuisinière et aubergiste, Magdalena  aussi brode et soigne les vaches, puis travaille en usine,  … Elles ont de la volonté et du caractère.

Autour d’elles gravitent toute une panoplie de personnages plus ou moins sympathiques et tolérants : une française qui vit entourée de livres, une enseignante qui teste les capacités d’Eva à entrer dans la grande école, un maire, embarrassé par la mission d’expulsion qu’il doit exécuter, un jeune communiste qui n’hésite pas à brûler la grange de son patron pour l’obliger à renoncer à sa propriété et qui gravit ensuite les échelons, …  

C’est que dans cette fiction  qui se construit avec en arrière-plan l’histoire de la Tchécoslovaquie des années 30 à aujourd’hui on est bien loin de l’Ostalgie ! Les communistes y élèvent les vaches en batterie_ce qui scandalise nos héroïnes , ils dépouillent les propriétaires, ils imposent l’uniforme scolaire à la jeune Eva, la seule de toutes semble-t-il, qui ait été scolarisée, ils exigent des élèves qu’ils participent à des groupes de jeunes pour des activités civiques. Dans la lignée de ces femmes, on pratique une résistance passive en évitant les réunions communistes et en évitant l’adhésion. Pour Eva, comme l’entrée à la grande école est  conditionnée par cela, le costume, l’étoile rouge et la participation aux groupes « Étincelles » est toléré mais ensuite Eva préférera quitter l’école plutôt que de devoir joindre le groupe des « Pionniers » puis les « Jeunesses communistes » où il faudrait travailler sans même être payée, lui prédit son arrière beau-père (celui qui est un ivrogne, violent, incestueux).

Mais même si ces femmes, sauf Eva, ne sont pas scolarisées, curieusement, elles aiment les romans, notamment La Dame au camélia !   

Le texte est écrit avec ce goût manifeste des mots et plusieurs pages la poésie. Comme c’est demain la fête des mères, je choisis cette citation pour preuve : « Ma maman Liba, Libunka. Quand le nom ou le prénom est beau, ça ajoute du beau au beau, j'ai remarqué ça. J'appelle ma maman Libunka, c'est le plus joli de tous les prénoms, je trouve. »

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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 13:29

Du tout au tout est un roman poétique, satirique, dystopique et magnifique si ce n'est les

écarts langagiers qui jonglent entre le familier et l'argotique. Certes, dans la tradition rabelaisienne, c'est là une langue qui peut faire merveille et même qui donne au roman sa singularité mais cela l'exclut je le crains des CDI et des cours de lycée où pourtant il aurait sa place. En effet, on peut considérer Du tout au tout comme une réécriture de L'Écume des jours à bien des égards : l'univers des quatre-vingts premières pages rappelle celui de Colin : celui-ci est devenu Pierre Pierre mais c'est la même simplicité onomastique et le même portrait lisse et policé. Si Colin est riche et oisif, Pierre n'est ni l'un ni l'autre mais tous deux ont de la chance en dépit de leur maladresse : ici Pierre Pierre qui traînait sur un banc comme les "clodos qui cocotaient l'eau de Cologne" et dont "les cheveux étaient propres comme ceux d'une communiante", la "peau rosée", les "ongles faits"... Pierre Pierre, donc, rencontre César de la Mer, fondateur et patron du Poséidon et se fait engager. Colin a des souris gentilles et empathiques, Pierre Pierre a un chat, Mohair qui gonfle de bonheur quand le monde est à l'harmonie, Colin rencontre Chloé, Pierre Pierre rencontre Isis mais un jour Chloé est victime du nénuphar, mais un jour César de la Mer se retire au cimetière des bateaux, vieux et ruiné. Alors la DRH commet l'irréparable et tout de dégrade, les esthètes du Poséidon sont remplacés par les datas et par les mails des bazoomails de l'entreprise qui désormais est celle de Vulcain, Isis y perd son âme et celle de César s'échappe par toutes les fissures de la bâtisse qui de forme ovoïde est de devenue pyramidale, Mohair est devenu si petit que Pierre Pierre le transporte dans un tube.

Dès lors le roman se fait critique d'une société dans laquelle on reconnaît bien des défauts de la nôtre. Un exemple, p 253 : "On était quatre cents salariés du temps de César. En trois mois, tu sais à combien on est passé ?

_ Trois cents. Moins 25% d'effectif en un trimestre. Par contre, on a trois cents contrats pro.

_ Un par personne. Pour s'en souvenir, c'est du nougat. Ça vient d'où cette mode ? On est tombé sur une ruche ?

_ Le nouveau code du travail. Plus on exploite les mômes, moins on paie d'impôts. Tu parles que c'est pas passé à la direction... On les prend, on les lessive, on les essore et on les jette. Pauvres gosses... "

C'était mon premier roman d'Arnaud Le Guilcher, j'y reviendrai, c'était un très bon moment.

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15 janvier 2018 1 15 /01 /janvier /2018 09:28

Ce roman, publié en 2012 aux éditions de La Fosse aux ours, relate le voyage que fait le héros, Gouri en direction de Pipriat sa ville d'origine devenue ville interdite depuis l'accident nucléaire de Tchernobyl en 1986. Gouri est un poète qui travaillait autrefois à la centrale, il vit désormais à Kiev depuis l'évacuation de Pipriat mais sa fille Ksenia est malade, sans doute contaminée et il veut rapporter à Kiev la porte de sa chambre, objet chargé de souvenirs.

Au cours de son voyage, il s'arrête pour revoir son ami Iakov. Celui-ci est très mal en point. Comme les autres, il avait accepté de faire oeuvre citoyenne en allant "enterrer la terre" après la catastrophe mais il en paie très cher les conséquences. Éva son épouse prends soin de lui et aussi de ses voisins qu'elle reçoit chez elle au dîner : Svetlana qui peint des pierres et son époux le vieux Léonti qui a entrepris de reconstruire sa maison, le jeune Piotr, qui semble avoir perdu la tête et le mystérieux Kouzma. Ensemble ils partagent de nombreux verres de vodka, la soupe de poulet le chou. Kouzma met en garde Gouri : "tu me retrouveras rien de ce que tu as connu là-bas." dit-il. Il dresse même un portrait terrifiant de Pipriat : "Mais avec le temps, ce qui finit par te sauter en premier à la figure, ce serait plutôt une sorte de jus qui suinte de partout, comme quelque chose qui palpiterait encore. Quelque chose de bien vivant et c'est ça qui te colle la trouille. Ça, c'est une vraie poisse, un truc qui s'attrape partout. Et d'abord là dedans. De son pouce, il tapote plusieurs fois son crâne. Je sais de quoi je parle"

J'aime beaucoup l'écriture de ce roman, la plongée dans l'univers des personnages, la tendresse avec laquelle l'auteur en dresse le portrait mais je suis très déçue par la fin : je n'ai pas compris le revirement de Kouzma qui choisit d'accompagner Gouri  à Pipriat, l'aide à récupérer sa porte et même, bizarrement et à plusieurs reprises, "est contre Gouri" (p 109). Or alors que Gouri attend Kouzma parti guetter les pilleurs à Pipriat, Gouri pense que "ce n'est pas Kouzma qui le tracasse. Kouzma, ce n'est pas important. Qu'il meure, même, et ce ne serait qu'un petit drame de plus [...] Il envisage sa lâcheté." Heureusement Kouzma revient, ils rentrent ensemble jusque Marianovka où Kouzma "disparait entre les arbres".

Gouri aurait-il été un temps victime de la "vraie poisse" dont parlait Kouzma ? Il finit pourtant par tenir sa promesse chez Iakov, l'aidant à écrire à Éva sa lettre d'amour et d'adieu.

Extrait représentatif (p.34) : "On nous emmenés dans un camp vers ces coins-là, près du village de Tchestoganivka. On était une douzaine, peut-être un peu plus. Le chef a expliqué ce qu'on avait à faire. Il a dit, et je te jure que c'est exactement ce qu'il a dit : les gars, on va enterrer ce champ. On l'a regardé sans comprendre, et il a répété les mêmes mots. Alors, ce qu'il faut faire, a fini par demander l'un d'entre nous, c'est ni plus ni moins qu'enterrer la terre."

   

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