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22 août 2020 6 22 /08 /août /2020 13:47

Le psychanalyste Luke Rhinehart doute de l'intérêt de la psychanalyse alors qu'il est médecin dans un hôpital

Psychiatrique. L'idée lui vient alors que chaque individu est prisonnier d'un moi unique alors que si on peut changer ce moi, la libération peut être vitale. Pour cela, il met au point une méthode originale : tout jouer au dé. Pour chaque acte de la vie, proposer diverses solutions et laisser le hasard choisir en lançant le dé. Les résultats sont totalement imprévisibles et totalement libres vis à vis de la loi comme vis à vis de la morale. Un aliéné est interné car il violait les petites filles, le voilà maintenant complétement désintéressé par les fillettes mais intéressé par les petits garçons !  Le docteur applique aussi sur sa propre vie  sa méthode et se retrouve ainsi à aider une trentaine d'aliénés à s'évader de l'hôpital. 

La question initiale est tout à fait intéressante : le moi que nous affichons au quotidien est une construction qui bride notre créativité comme notre liberté.

Le traitement de la question est en revanche tantôt humoristique, tantôt provocatrice jusqu'à devenir agaçante, laissant libre cours aux fantasmes divers du personnage. Alors certes, ce livre n'est pas à mettre dans toutes les mains. 

Le narrateur porte les même noms et prénoms que l'auteur qui se plait de la sorte à créer le trouble. Les citations en exergue donnent au libre un caractère sérieux, scientifique :

"Nous ne sommes pas nous-mêmes ; en vérité, il n’y a plus rien qu’on puisse encore appeler un « moi », nous sommes multiples, nous avons autant de « moi » qu’il y a de groupes auxquels nous appartenons… Le névrosé est la victime patente d’une maladie dont tout le monde souffre… J. H. VAN DEN BERG

Mon but est d’aboutir à un état psychique dans lequel mon patient se mette à expérimenter sur sa propre nature – un état de fluidité, de changement et de croissance, dans lequel plus rien ne serait éternellement figé, désespérément pétrifie. CARL GUSTAV JUNG

La torche du chaos et du doute : telle est la lanterne du sage. TCHOUANG-TSEU

Je suis Zarathoustra le sans-Dieu : je fricote encore toutes les chances dans ma marmite. NIETZSCHE N’importe qui peut être n’importe qui. L’HOMME-DÉ

C'est ainsi qu'à la sortie de ce roman beaucoup ont cru à une autobiographie et le récit a connu un succès retentissant attisé par le parfum du scandale.

En réalité, c'est une supercherie, l'auteur se nomme en réalité George Powers Cockcroft, c'est un romancier américain, professeur de littérature, Luke Rhinehart est le nom de son personnage et son nom de plume.

extrait : "De retour à mon bureau, je récrivis les deux premières options : quitter Lil et abandonner les dés. J’accordai alors une chance sur cinq à l’option de décider au début de chacun des sept mois suivants (c’est-à-dire jusqu’au premier anniversaire du jour D à la mi-août) à quoi chacun de ces mois devrait être consacré. J’attribuai les mêmes chances à l’option d’essayer d’écrire un roman pendant ces sept mois. Un peu plus à celle de faire trois mois de tourisme en Europe et de voyager le reste du temps selon le caprice du dé. Ma dernière option était de remettre la conduite de mes recherches de sexologie avec le Dr Felloni à l’imagination du dé.

Le premier jour semestriel de la distribution de ma destinée était arrivé – une occasion mémorable. Je bénis les dés au nom de Nietzsche, de Freud, de Jake Ecstein et de Norman Vincent Peale et les agitai dans mes mains en coupe, en leur faisant durement heurter mes paumes. Je gloussais d’impatience : c’était une demi-année de ma vie, peut-être même plus qui tremblotait là dans mes mains. Les dés roulèrent sur le bureau ; il y avait un six et un… trois. Neuf : survie, anticlimax, inachèvement, et même désappointement ; les dés m’avaient ordonné de recommencer chaque mois à leur faire choisir ma destinée particulière."

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17 juillet 2020 5 17 /07 /juillet /2020 13:01

"En ce temps-là, la semaine n’avait que quatre jours, l’année comptait ainsi beaucoup plus de semaines et les gens vivaient donc plus longtemps sur la Terre. L’enfant survécut à deux semaines, à trois, puis à quatre. On attendit trois lunes entières. L’enfant se mit à babiller, à gazouiller. Il devint beau et fort comme les hommes de la lignée de sa mère. Ce n’est qu’alors qu’il fut considéré comme une vraie personne, une créature indépendante qui méritait un nom bien à elle pour la distinguer du reste de la Création. Compte tenu de sa naissance extraordinaire, on lui trouva un nom prestigieux, le nom d’un de ces ancêtres dont les hauts faits se perdaient dans la nuit de l’histoire de son peuple. Toute la famille se réunit et le vieux Nimi A Lukeni, mémoire de la nation, le présenta aux ancêtres : “... Ainsi, à partir d’aujourd’hui, tu seras un homme appelé à vivre, tu auras un nom à toi, celui de Mankunku, celui qui défie les puissants et les fait tomber comme les feuilles tombent des arbres. Que l’esprit du grand ancêtre accepte, avec le vin de palme que je crache aux vents et les feuilles de kimbazia que je mâche et crache devant tous, de veiller sur toi. Tâche de devenir fort comme lui et de ne craindre personne, pas même les puissants. Sois digne de la lignée de ta mère.

Et le vent répondit en acceptant le vin, il le porta en gouttelettes fines dans les quatre directions, monta, baisa la face du ciel en effleurant le Soleil avant de retomber sur la mère et le père, grand forgeron. Et l’esprit de l’ancêtre accepta l’enfant en arrêtant définitivement la douleur qui n’avait cessé de mordre le bas-ventre de la mère depuis la naissance du garçon. On l’appela donc Mandala Mankunku."

Ces lignes p 18/19 relatent l'officialisation de la naissance du héros de ce roman. Ce n'est pas pour autant l'heure de son intégration car la découverte de ses yeux verts conduit à son ostracisme, "des yeux glauques, vert-de-palme, phosphorescents la nuit, [...] des yeux verts de fauve nyctalope, des yeux de sorcier malfaisant voyageant la nuit avec les chouettes et les hiboux", "C'est à cette époque-là que l'enfant reçut le nom de Mambou, enfant-de-la-discorde."

D'autres dénominations s'ajoutent au fil de l'histoire (Maximilien Massini Mupepe) de ce garçon "né sans naissance, sans origine donc sans fin" (p 324/325) et son histoire épouse celle  de son pays : la colonisation, l'exploitation, la construction des chemins de fer congolais, la révolte, l'exode vers les villes, la fin de la colonisation, le départ vers l'Europe jusqu'à ce qu'il découvre "ce qu'il avait cherché pendant toute sa vie : retrouver, comme au premier matin du monde, l'éclat primitif du feu des origines."

En 2002, nous avons étudié en 2nde ce roman publié en 1987 chez Albin Michel pour en 2001 au Serpent à Plumes. C'était l'année où Emmanuel Dongala, professeur de chimie et de littérature aux États-Unis venait à Paris faire la promotion de son dernier livre Johnny Chien méchant ce qui nous a permis de le faire venir au lycée pour une rencontre mémorable. Alors que je m'apprête à me débarrasser de mes vieux dossiers, il fallait bien que j'en garde une trace !

 

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16 juillet 2020 4 16 /07 /juillet /2020 14:04

Auteur chilien né en 1949 et décédé cette année, Luis Sépulveda a publié en 1989 ce roman qui a pour cadre l'Amazonie. Alors qu'il était exilé à Hambourg depuis 1977, il participe à une expédition organisée par l'UNESCO en Amazonie. Il séjourne six mois chez les Indiens Shuars. Lors de la publication de ce roman en France en 1992, j'ai l'ai étudié avec des élèves de 2nde et nous avions rencontré l'auteur au festival Etonnant voyageur !

Antonio José Bolivar est un indien qui a émigré de son village de la montagne équatoriale avec sa femme Dolores Encarnnacion, attiré par les promesses faites par le gouvernement : recevoir des terres et de l'aide technique pour coloniser la forêt.

Comme les autres colons qui ne savent ni classer, ni pêcher, il est incapable de s'adapter à ce milieu hostile. Au bout de deux ans, sa femme meurt et à partir de ce moment-là, il vit seul dans la forêt et peuple sa solitude en lisant des romans d'amour.

Pour s'intégrer à cette région, Antonio José Bolivar a compris qu'il devait la connaître et que d'abord, il devait comprendre ses habitants. C'est pourquoi il a appris à chasser et à pêcher avec les Shars.  Il s'est habillé comme eux et a évité le contact avec les autres colons. Alors qu'il avait détesté la forêt dont il voulait se venger en y mettant le feu car elle était responsable de la mort de sa femme, victime de la Malaria, il a appris peu à peu à connaître la forêt jusqu'à se rendre compte qu'elle le rendait heureux. Il faisait exactement ce qu'il voulait, n'était contraint à aucun horaire, aucune obligation matérielle. Il ne se sentait pas obligé de vivre en communauté, il décidait seul s'il voulait voir les indigènes ou rester seul.

Mais la nature chez Sépulveda n'est pas le paradis. Elle isole : les sentiers sont vite rendus impraticables par la végétation, le dentiste Rubicondo Loachamin ne vient que deux fois par an et apporte au vieu de nouveaux livres . Elle est inhospitalière et malsaine : les pluies diluviennes transforment le sol en marécage, la culture est impossible, les moustiques, la  chaleur et l'humidité provoquent la Malaria. Elle est dangereuse : l'ocelote tue quatre personnes  en cinq jours, les ouistitis tuent un homme, un serpent X a failli tuer Antonio José Bolivar.

Comme le monde des hommes incarné par le maire, est encore plus hostile, le vieux se réfugie dans les romans d'amour, seul rempart contre la "barbarie humaine"

 

 

Voici l'épilogue : "Malgré sa maigreur c’était une bête superbe, une beauté, un chef-d’œuvre de grâce impossible à reproduire, même en imagination.

Le vieux la caressa, oubliant la douleur de son pied blessé, et il pleura de honte, se sentant indigne, avili, et en aucun cas vainqueur dans cette bataille.

Les yeux brouillés de larmes et de pluie, il poussa le corps de l’animal jusqu’au bord de la rivière et les eaux l’emportèrent dans les profondeurs de la forêt, vers les territoires jamais profanés par l’homme blanc, vers le confluent de l’Amazone, vers les rapides où des poignards de pierre se chargeraient de le lacérer, à tout jamais hors d’atteinte des misérables nuisibles.

Puis il jeta rageusement le fusil et le regarda s’enfoncer sans gloire. Bête de métal honnie de toutes les créatures.

Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d’or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’y appuya, et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes."

 

 

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11 juillet 2020 6 11 /07 /juillet /2020 22:41

C’est le dernier livre de cette prolixe romancière. La ligne directrice engage trois personnages qui a priori auraient pu ne jamais se côtoyer : un universitaire germano-portugais venu du Brésil, une universitaire chilienne et une jeune immigrée guatémaltèque. Ces personnages se rencontrent à Brooklyn alors que le froid et la neige bloquent la ville et provoquent un banal accident de circulation. La rencontre lie les trois personnages de façon aussi rocambolesque que définitive : ils se dirigent ensemble et en pleine tempête de neige vers une cabane au Canada avec dans le coffre un cadavre et l’arme du crime.

Or cette aventure rocambolesque tient le lecteur en haleine alors que l’histoire de chacun des protagonistes est relatée :

Lucia Maraz a quitté le Chili de Pinochet alors que son frère venait d’être arrêté et que la menace pesait aussi sur elle. Elle a passé ensuite son temps à enquêter sur les disparus avant de venir s’installer à Brooklyn.

Le professeur Richard Bowmaster vit seul avec ses chats, rescapé d’une terrible histoire familiale qui l’a conduit du Brésil à Brooklyn.

Evelyn Ortega a dû quitter le Guatemala après que ses deux frères ont été cruellement assassinés par des bandes de narco trafiquants. Elle-même a subi cette violence sauvage au point qu’elle s’est retrouvée bègue et blessée obligée de quitter son pays et sa grand-mère et de franchir la frontière vers les USA malgré les dangers effroyables avant de retrouver sa mère à Chicago puis de venir travailler à New-York. :

"En fait, la traversée durait seulement quelques minutes. Ils retrouvèrent les deux autres sur l’îlot et se tapirent dans la végétation, sur le sol sablonneux. Immobiles, ils observaient la rive des États-Unis, si proche qu’ils entendaient la conversation de deux patrouilleurs à bord d’un véhicule dont le puissant projecteur pointait dans leur direction. Plus d’une heure passa de la sorte, sans que l’Expert manifestât la moindre impatience. En vérité, il semblait s’être assoupi, tandis que les autres tremblaient de froid, claquaient des dents et sentaient sur leur peau les insectes et le frôlement des reptiles. Sur le coup de minuit, l’Expert secoua son corps ensommeillé, comme s’il avait une alarme intérieure, et à cet instant précis le véhicule des gardes-frontières éteignit son faisceau. Puis ils l’entendirent s’éloigner.

De ce côté, il y a moins de courant, nous pouvons y aller tous ensemble en barbotant, mais attention, pas le moindre bruit une fois parvenus sur la terre ferme », ordonna-t-il.

Ils entrèrent à nouveau dans le fleuve, cramponnés au pneumatique. Sous le poids des six personnes, il s’enfonçait au ras de l’eau, mais ils le guidèrent en ligne droite. Peu après, ils touchaient le fond et gravissaient le versant marécageux de l’autre bord. Ils étaient arrivés aux États-Unis.

Ils entendirent alors le moteur d’un autre véhicule, mais ils étaient à l’abri de la végétation, hors de portée des projecteurs. »

L’amitié, l’empathie, l’amour sont les valeurs sur lesquelles repose l’unité du trio alors que leur point commun, ils sont « latinos » émigrés aux USA, évoque l’histoire des pays Sud-Américains et aussi l’actualité des flux migratoires entre Amérique du Sud et USA.

 

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3 juillet 2020 5 03 /07 /juillet /2020 09:37

Ce texte est une autobiographie co-écrite par la jeune pakistanaise prix Nobel de la paix 2014, Malala et par Patricia McCormick  qui a aidé à adapter pour un public de jeunes lecteurs une précédente autobiographie,   Moi, Malala, je lutte pour l'éducation et je résiste aux talibans, de Christina Lamb et Malala Yousafzai, publié chez Calmann-Lévy, en

"Je ne lève pas la voix pour pouvoir crier, mais pour que ceux qui n’ont pas voix puissent être entendus, ceux qui se sont battus pour leurs droits :
Leur droit de vivre en paix.
Leur droit à être traité avec dignité.
Leur droit à l’égalité des chances.
Leur droit à l’éducation.

Le 9 octobre 2012, les talibans ont tiré une balle dans le côté gauche de mon front. Ils ont tiré sur mes amies également. Ils ont pensé que les balles feraient taire. Mais ils ont échoué.

Et voilà que, de ce silence se sont élevées des milliers de voix. Les terroristes pensaient qu’ils pourraient changer nos objectifs et mettre fin à nos ambitions, mais rien n'a changé dans ma vie, sauf ceci : la faiblesse, la peur et le désespoir sont morts. La force, la puissance et le courage sont nés. Je suis la même Malala. Mes ambitions sont les mêmes. Mes espoirs sont les mêmes. Mes rêves sont les mêmes.

Un enfant, un professeur, un crayon, un livre peuvent changer la monde."

En somme, une autobiographie à lire et faire lire au collège ou après car elle est édifiante.

 

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28 juin 2020 7 28 /06 /juin /2020 11:19

Soie est roman publié en 1996 et paru en français en 1997, la même année que Novecento : Pianiste que j'ai beaucoup aimé et 18 ans avant Trois fois dès l'aube.

 

Dans ses premières pages, l'auteur présente son héros de façon poétique, certes mais peu engageante quand on commence un roman : "C’était au reste un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre.

On aura remarqué que ceux-là contemplent leur destin à la façon dont la plupart des autres contemplent une journée de pluie."

Le sujet, son titre le dit, est la soie : en 1860, Hervé Joncour de Lavilledieu est incité par un étrange personnage aussi ingénieux que généreux nommé Baldabiou à  faire le commerce de vers à soie afin d'approvisionner les sériciculteurs locaux. Il s'approvisionne d'abord en Afrique du nord mais voilà qu'une maladie, la prébine tue les œufs. Baldabiou n'est pas en reste, il conseille à Hervé Joncour d'aller chercher les vers à soie au Japon. Les allers-retours au Japon éloignent chaque année quelques mois Hervé Joncour de sa compagne Hélène. Là-bas, Hervé Joncour achète des œufs de vers à soie à Hara Key dont la jeune maitresse l'intrigue et le fascine. Mais voilà que Pasteur parvient à éradiquer la prébine et qu'au Japon une guerre se déclare.

Dans ce roman, le merveilleux glisse sur le réel comme un voile de soie jusqu'à ce qu'il ne reste plus à Hervé Joncour qu'à cultiver son jardin.

"Le dimanche, il allait jusqu’au bourg, pour la grand-messe. Une fois l’an, il faisait le tour des filatures, pour toucher la soie à peine née. Quand la solitude lui serrait le cœur, il montait au cimetière, parler avec Hélène. Le reste de son temps s’écoulait dans une liturgie d’habitudes qui réussissait à le défendre du malheur. Parfois, les jours de vent, Hervé Joncour descendait jusqu’au lac et passait des heures à le regarder, parce qu’il lui semblait voir, dessiné sur l’eau, le spectacle léger, et inexplicable, qu’avait été sa vie."

J'ai préféré Nocecento : Pianiste et Trois fois dès l'aube car je trouve que dans Soie, l'exercice de style est un peu trop visible. Soie reste quand même une belle découverte.

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24 juin 2020 3 24 /06 /juin /2020 18:49

Paru en 2011, ce roman m'avait à l'époque attirée et révulsée. Il est des époques de la vie où certains livres heurtent et sont inaccessibles.


Je viens maintenant de le finir. En refermant ce livre, c'est une famille nombreuse qu'il faut quitter, une famille meurtrie par les disparitions prématurées, les secrets trop bien gardés, les séquelles, les non-dits et la résilience. Delphine de Vigan dresse ainsi un vaste panorama de sa famille et plus largement de la famille de sa mère Lucile. Mais cela conduit à s'interroger sur l'écriture elle-même et c'est aussi ce qui fait l'intérêt de ce récit : "Ai-je pris à ma charge, sans le savoir, le désir de Lucile ? Je ne sais pas. Lorsque j’ai publié pour la première fois, je n’ai pas eu le sentiment d’accomplir quelque chose dont elle avait rêvé ni d’être dans le prolongement d’une démarche inaboutie ou inachevée. Lors des échanges que nous avons pu avoir, Lucile n’a jamais établi aucun lien, ni opposition, entre mon désir d’écrire et le sien, et a gardé secrètes la plupart de ses tentatives de publication. Il me semble, pour elle comme pour moi, qu’il s’agissait d’autre chose. [...] Aujourd’hui, ma sœur et moi seules avons accès aux textes de Lucile, à leur douleur et à leur confusion.

 Ces textes me rappellent à l’ordre et me questionnent sans cesse sur l’image que je donne d’elle à travers l’écriture, parfois malgré moi. Lorsque j’écris sa renaissance, c’est mon rêve d’enfant qui ressurgit, ma Mère Courage érigée en héroïne : « Lucile laissa derrière elle ses heures parmi les ombres. Lucile, qui n’avait jamais pu monter à la corde, se hissa hors des profondeurs, sans que l’on sût véritablement comment, en vertu de quel élan, de quelle énergie, de quel ultime instinct de survie. » À la relecture, je ne peux ignorer la mère idéale qui plane malgré moi sur ses lignes. Non contente de s’imposer sans que je la convoque, la mère idéale s’écrit dans un lyrisme de pacotille."

Le titre est issu de la chanson Osez Osez Joséphine d'Alain Bashung, une chanson qui va bien à l'héroïne Lucile.

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3 juin 2020 3 03 /06 /juin /2020 10:35

Dans le hall d’un hôtel, vers quatre heures du matin, alors que le concierge dort, une femme entre. Elle porte une robe de soirée jaune et semble un peu perdue. Sur un fauteuil un homme attend. Le dialogue s’engage, la femme s’obstine à retenir cet homme qui pourtant veut aller travailler : il fabrique et vend des balances ...

De nouveau dans un hall d’hôtel mais moins classe, une nuit, le concierge voit arriver un couple : la fille lui paraît bien jeune et jolie quoique fatiguée mais son compagnon semble rustre et violent. Il leur attribue une chambre mais la jeune femme redescend soit disant pour chercher des serviettes. Elle parle avec le concierge, lui demande de raconter sa vie et s’attarde mais son compagnon s’impatiente. Elle continue pourtant ...

Enfin dans la troisième histoire, encore une nuit dans un hôtel, on retrouve l’homme de la première histoire mais qui est encore enfant. Échapper à l’incendie et ses parents sont décédés dans l’incendie. Une policière est chargée de le garder pour la nuit dans un hôtel miteux. Elle prend pitié et décide de partir avec l’enfant pour lui offrir un refuge plus digne et plus heureux.

Ces trois histoires constituent un ensemble intitulé Trois fois dès l'aube et il se trouve que c'est le récit d'un personnage,  l'Anglo-indien Akassh Narayan  dans Mr Gwyn, publié en 2011. Ces trois histoires tressent des récits dont les personnages, les situations et les lieux se répondent sans être les mêmes. L’auteur parvient alors à nous jouer ce tour de force qui consiste à nous entraîner dans ses histoires sans pour autant nous faire oublier qu’il en est le prestidigitateur. Sa baguette magique une écriture souple, précise, élégante autant que je puisse en juger d’après la traduction de Lise Caillat.

Extrait  choisi :

C’était un hôtel, d’un charme un peu suranné qui avait su probablement, par le passé, tenir certaines promesses de luxe et de raffinement. Par exemple, il avait une belle porte à tambour en bois, un détail toujours propice aux fantasmes.

C’est par là qu’une femme entra, à cette heure étrange de la nuit, apparemment perdue dans ses pensées, à peine descendue d’un taxi. Elle portait juste une robe du soir jaune, plutôt décolletée, sans l’ombre d’un châle sur les épaules : cela lui donnait l’air intrigant de ceux à qui il est arrivé quelque chose. Il y avait une élégance dans ses mouvements, mais on aurait dit aussi une comédienne regagnant les coulisses, libérée de la contrainte du jeu et renouant avec une partie d’elle-même, plus sincère. Ainsi elle avait une manière précise de poser ses pas, un peu fatiguée, et de tenir son minuscule sac à main, prête à le lâcher. Elle n’était plus très jeune, mais ça lui allait bien, c’est le cas parfois des femmes qui n’ont jamais douté de leur beauté.

Dehors, régnait cette obscurité qui précède l’aube, ni la nuit ni le matin.

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1 juin 2020 1 01 /06 /juin /2020 13:26

Sous-titré  " La Merveilleuse Histoire du général Johann August Suter", L'Or est le premier roman de Blaise Cendrars.

Publié en 1924, il raconte l'histoire vraie de Johann August Suter, qui en mai 1834 abandonne sa femme et ses quatre enfants dans le comté de Bâle en Suisse. Âgé de 31 ans, Il part sans un sou en poche et prend un bateau qui le conduit en Amérique. Pendant deux ans, il pratique de multiples petits métiers et se crée un réseau d'aventuriers et de commerçants grâce auxquels il s'informe sur les moyens d'atteindre l'Ouest. La traversée de l'Amérique d'Est en Ouest renvoie pour le lecteur moderne aux multiples images de westerns vus à la télé ou au cinéma.  Parvenu à Santa Fé, il apprend l'existence d'une autre région bien plus à l'Ouest, une région qui irrémédiablement l'attire. Il repart vers cette région, aujourd'hui la Californie, En chemin il s'arrête à Honolulu où il s'attache une équipe de travailleurs Canaques. Avec eux, il gagne la Californie où il obtient d'importantes concessions de la République de Mexico. Il nomme son domaine La Nouvelle Helvétie et mets en place agriculture et élevage puis construit moulins, ponts, routes, ... Suter devient multimillionnaire et parvient habilement à repousser les attaques. Il envoie de l'argent en Suisse et fait venir sa femme et ses enfants.

Extrait :

"La Nouvelle-Helvétie prenait tournure. Les maisons d’habitation, la ferme, les principaux bâtiments, les réserves de grains, les dépôts étaient maintenant entourés d’un mur de cinq pieds d’épaisseur et de douze pieds de haut. A chaque angle s’élevait un bastion rectangulaire muni de trois canons. Six autres pièces défendaient l’entrée principale. La garnison permanente était de 100 hommes. En outre, des patrouilles et des rondes parcouraient toute l’année l’immense domaine. Les hommes de troupe, racolés dans les bars d’Honolulu, étaient mariés à des femmes californiennes qui les accompagnaient dans tous leurs déplacements, portant le bagage, pilant le maïs et fabriquant les balles et les cartouches. En cas de danger tout ce monde se rabattait sur le fortin et venait renforcer la garnison. Deux petits bateaux armés de canons étaient à l’ancre devant le fort, prêts à remonter soit le Rio de los Americanos, soit le Sacramento.

Les directeurs des moulins, des scieries où se débitaient les arbres géants du pays, des innombrables ateliers, étaient pour la plupart des charpentiers de bord, des timoniers ou des maîtres d’équipage que l’on faisait déserter des voiliers en escale sur la côte en leur promettant une solde de cinq piastres par jour.

Il n’était pas rare de voir des Blancs venir se présenter à la ferme, attirés par la renommée et la prospérité de l’établissement. C’étaient de pauvres colons qui n’avaient pas su réussir seuls, principalement des Russes, des Irlandais, des Allemands. Suter leur distribuait des terres ou les employait selon leurs capacités.

Des chevaux, des peaux, du talc, du froment, de la farine, du maïs, de la viande séchée, du fromage, du beurre, des planches, du saumon fumé étaient journellement embarqués. Suter expédiait ses produits à Van Couver, à Sitka, aux îles Sandwich, et dans tous les ports mexicains et sud-américains ; mais il approvisionnait surtout les nombreux navires qui venaient maintenant jeter l’ancre dans la baie.

C’est dans cet état de prospérité et d’activité que le capitaine Frémont trouva la Nouvelle-Helvétie quand il descendit des montagnes après sa mémorable traversée de la Sierra Nevada. Suter s’était porté à sa rencontre avec une escorte de 25 hommes splendidement équipés. Les bêtes étaient des étalons. L’uniforme des cavaliers, d’un drap vert sombre relevé d’un passepoil jaune."

Mais, alors qu'il est installé depuis près de dix ans,  il suffira d'un coup de pioche d'un charpentier pour que tout l'édifice s'écroule. C'est que ce coup de pioche a provoqué la découverte d'un gisement d'or sur les terres de Suter. Alors, on assiste à la corruption de tous ceux qui jusque-là travaillaient en bonne entente sur le domaine et à l'invasion incontrôlée et incontrôlable du domaine par des chercheurs d'or venus du monde entier.  Une ville naît, San Francisco, Suter est proclamé général mais spolié de tous ses biens. San Francisco est rattachée aux États-Unis, Suter a tout perdu.    

Cette histoire est donc une histoire vraie mais Cendrars lui donne une dimension largement plus intéressante, ce roman prend en effet la dimension d'une tragédie ou au moins d'un apologue.   

   

 

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20 mai 2020 3 20 /05 /mai /2020 18:51

Ce récit faisait partie de la liste des titres retenus pour le Goncourt à l'automne dernier. Je ne l'avais pas lu à cette époque. Je viens de le finir. Est-ce un roman ? Il me semble que non, c'est l'histoire du grand-père de l'auteur, Vicente, qui rejetant  à la fois sa nationalité polonaise et sa judéité, avait quitté l'Europe pour vivre en Argentine où il s'était installé sans se soucier de sa mère et de son frère restés en Pologne :

 

"Vicente avait été un homme installé : quarante ans, marié, deux filles et un fils, des amis, un magasin qui marchait, une ville qui ne lui était plus étrangère. Il avait été un homme comme plein d’autres hommes, heureux et malheureux, chanceux et malchanceux, vif, fatigué, présent, absent, souvent insouciant, parfois passionné, rarement indifférent. Il avait été un homme comme tant d’autres hommes, et soudain, sans que rien n’arrive là où il se trouvait, sans que rien ne change dans sa vie de tous les jours, tout avait changé. Il était devenu un fugitif, un traître. Un lâche. Il était devenu celui qui n’était pas là où il aurait dû être, celui qui avait fui, celui qui vivait alors que les siens mouraient. Et à partir de ce moment-là, il a préféré vivre comme un fantôme, silencieux et solitaire."

En effet, lorsque la guerre se déclare, que sa mère est enfermée de même que son frère, dans le ghetto de Varsovie, Vicence se mure à son tour dans son "ghetto intérieur", cessant de parler, de s’intéresser même à sa famille et dilapidant son argent aux jeux. A Buenos Aires il ne reçoit pourtant que des nouvelles parcellaires par le courrier et les journaux mais cela suffit à le tourmenter, il se sent coupable, d'avoir aimer la culture allemande dans sa jeunesse, de n'avoir pas insisté pour que sa mère le rejoigne, d'avoir renié sa judéité.

Pour pallier le manque d'informations précises de son héros, le narrateur  énonce parfois les épouvantes réalités, les terribles chiffres qu'il faut en effet rappeler et faire entendre pour éviter autant que possible le retour cyclique que redoutent Pythagore comme Borges.

"De la même manière que la plupart des Argentins, quarante ans plus tard dans cette même ville de Buenos Aires, allaient refuser de croire que la dictature militaire avait fait des milliers de disparus, les gens, en Allemagne, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Roumanie, dans les pays baltes, en Crimée, en Ukraine, en Russie, comme partout dans le monde, préféraient ne pas parler, ne pas savoir. Tout le monde préférait ne pas parler de cette horreur pour une raison élémentaire et intemporelle : parce que l’horreur crue de certains faits permet toujours, dans un premier temps, de les ignorer."

Cela suffit à rendre à ce récit nécessaire mais j'ai du mal à le considérer comme un roman malgré la présentation éditoriale.

 

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